Lundi 7 décembre , soirée d' inauguration de la saison à la Scala de Milan , par tradition
à la Saint Ambroise.
Ce soir ," Carmen ", Daniel Barenboim au pupitre .
Si cette femme , sauvage et versatile , séduit depuis des lustres lecteurs et spectateurs ,elle le doit bien à la fine étude de caractères de Prosper Mérimée et à l'expressive musique de
Georges Bizet , mort malheureusement trop jeune pour d'autres chefs d'oeuvre . La plupart des metteurs en scène ont voulu en faire une femme "libérée " (
comme si l'antienne féministe lui était nécessaire !) , aveugles à la couleur racinienne qu'une observation plus
serrée de l'autre victime , Don José , donnerait à leur travail .
Une fois de plus ! Emma Dante ," metteuse" en scène branchée , poursuivait un autre but , bien plus neuf , courageux , "tendance" en un mot : tourner l'Eglise en ridicule
.
Ainsi Michaela chante t elle sa complainte au pied d'un crucifix immense et
sanguinolent, autour duquel sont accroupies des formes voilées dont on ne tarde pas à comprendre qu'il ne s'agit pas de pieuses espagnoles , mais de victimes du tchador ou de la
burqa, qui explosent en gambades lorsque la croix éclate en morceaux .
Puis surgit , au moment de la fête , l' alguazil , mais en soutane et
chapeau ecclesiastique . Il fait mine de pourfendre de jeunes couples à l'évidence homosexuels , dotés , comme les balais de "L'apprenti sorcier
" , du pouvoir de multiplication , cependant qu'un ostensoir, qui ne quittera plus la scène , se balance aux cimaises .
Mais le meilleur , c'est à dire le pire , reste à venir , après qu'une farandole de danseurs en
foulard rouge ait sillonné le plateau : la scène , parfaitement inspirée du cinéma pornographique , du viol de Carmen par Don José , assisté
dans ce crime par l'alguazil -jésuite entouré d'enfants de choeur impassibles . Ces inepties surviennent après la mort en direct de la mère de José ( il semblerait qu'on ait voulu en
faire une bourgeoise abusive ) sur un lit de satin subitement déroulé sur le sol , de sorte qu'on ne sait plus si le malheureux poignarde la cigarière par remords , ou sous la
pulsion " de Vénus toute entière à sa proie attachée ".
Comment de splendides chanteurs comme Erwin Schrott et surtout Jonas Kaufmann , l ou la prometteuse
Anita Rachvelischvili , qui laissent loin derrière eux Roberto Alagna et Béatrice Uria Monzon ( mais la plus magnifique des Carmen reste Julia Miguenes ) peuvent ils
se compromettre dans des provocations si grossières ?
Assurément parcequ'ils savent que le public ne leur tiendra pas rigueur d'être aux mains de metteurs en
scène dictatoriaux et sectaires .
Ce fut hier le cas , avec des ovations répétées et enthousiastes . Mais "l'auteure" du délit a reçu
en contrepartie , en pâlissant de rage , les huées qu'elle n'attendait pas , qui
n'englobaient ni l'orchestre dont la sonorité et la rigueur sont connues , ni le chef dont le
mécontentement de se trouver dans un pareil guêpier convulsait le visage.
Constat accablant : à la tribune officielle (en Italie! ) on se livrait à de petits battements de
mains précieux.....
N.B. : en 1875 , il vient d'avoir 36 ans, et trois mois après la création de"
Carmen."
" L'arlesienne" , sur le conte
d'Alphonse Daudet, est une musique de scène antèrieure.