Qui veille sur le Mont Saint Michel ?Sa statue, ou un secret tellurique ?
J'arrive au Mont Saint Michel un soir de ce novembre indécis, par une pluie battante qui enfle le flux déja haut , inonde les pavés de la porte de l'Avancée ,et fait un torrent de la rue principale ; une flambée au dîner me réchauffe aussi bien que la conversation engagée avec l'hôtelier , breton bretonnant , mais que l'idée incongrue d' une sécession de sa province fait rire .Il me conseille de visiter les lieux dès le jour levé , pour éviter les cohortes de touristes . Mais une porte du couloir des chambres donne sur les remparts , que je parcours ébloui : le flot immense et glacé par la lune éclaire les murailles verticales du Mont , assiégé mais jamais pris ,et projette plus haut encore la statue de l'archange protecteur , celui qui parlait à Jeanne , et creuse les reliefs prodigieux des tours , cours, châtelet et barbacane , conçus par le conseiller de Charles VI , Pierre le Roi , toujours renforcés au cours des siècles .Ce" lieu où souffle l'esprit " me saisit de solennité .
Le lendemain matin le jusant se rosit de soleil et révèle dans la baie l'autre rocher , le mont Tombe; la première visite compte à peine vingt personnes , à l'évidence cultivées , attentives ,qui évoquent entre elles , à demi voix , le passé du Mont , se pénètrent de l'esprit de la Merveille , parcourent religieusement Notre Dame des trente cierges , le promenoir des moines aux perspectives vertigineuses , Notre Dame sous terre , la crypte des gros Piliers ,la salle des Hôtes et celle des Chevaliers , remplies du murmure éternel des prières et du froissement mat des parchemins qui furent ici préservés et transmis .Une pensée pour l'auteur d""Aristote au Mont Saint Michel"" qui ,en un magistral ouvrage ,a rendu hommage aux moines auxquels nous devons ce legs . Ce Haut lieu de notre Histoire nous impressionne .........
.SALLE DES CHEVALIERS OU SCRIPTORIUM
Et les statues
Nous sommes le deux novembre . Autrefois férié .......
Midi arrive , avec lui les voitures , les cars de "tourisme " et leurs ' touristes ' , en jeans , en parka , en baskets , d'où pendent caméras , portables ,profusion de sacs où s'entassent pulls , gâteaux , statues de plâtre , assiettes de faux étain ou de faïence made in China , qui signent des cartes postales sur n'importe quel support ,et enfin s'affalent aux tables des fast food , pizzerias , et même , d'un ...kebab ! Les maisons , celles que je découvrais la nuit passée ,au détour d'escaliers abrupts , entre des murets mystérieux et des jardins secrets , disparaissent sous les présentoirs de photos , de fausses aquarelles , et je constate avec peine ,dans cette foule bruyante et lourde , la demeure où Duguesclin logea son épouse pendant une de ses campagnes .Par bonheur elle n'attire personne ....car le conservateur a oublié que les meubles anciens ont besoin de cire plus que de poussière , et aussi d'un livret rappelant aux oublieux, ou non informés , l'histoire de ce preux .
Trente ans plus tôt , petit garçon tenant la main de son père , j'avais déja visité le Mont , et m'étais rempli du souvenir miraculeux de la découverte du gothique , et du lieu clos et sacré où se disait la messe .Je ne suis pas retourné le trois novembre au Plomb du four , j'ai seulement contemplé longuement , de la digue , et de plus en plus loin , la forme parfaite de ce monument " inscrit au patrimoine mondial de l'humanité " , formule qui , hélas, dessert ces lieux plus qu'il ne les illustre. La culture ne serait elle méritée que par peu de nous ?
Claude de Curtil .