29 janvier 2010
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Dans le droit fil des engagements qu’il a pris solennellement devant les Français, lors de la campagne présidentielle
qui l’a mené à la tête de l’Etat, Nicolas Sarkozy proclame avec obstination à qui veut l’entendre, sa volonté politique de préserver l’intégrité du patrimoine historique de la
Nation.
Des promesses électorales aux actes de gouvernement, la duplicité du Président de la République saute pourtant aux yeux, tant l’ambition affichée sur cette question par le chef de l’Etat est à ce point contredite par la réalité des faits.
Autrement dit, la politique culturelle de la France ne serait-elle pas au fond prisonnière de logiques exclusivement comptables, sinon mercantiles, que les nécessaires exigences de rigueur en matière de gestion des deniers publics ne parviennent plus à dissimuler, pas plus que les impératifs légitimes d’une saine décentralisation ?
Manifestement, il importe pour nos gouvernants de faire définitivement litière des attributions régaliennes d’un Etat jugé désormais encombrant, pour mieux investir ses compétences en matière de protection du patrimoine culturel.
Les preuves à charge se multiplient et suffisent, ces dernières années, à étayer un dossier en tous points accablant : démembrement des collections du Louvre notamment avec la création du musée éponyme à Abou-Dhabi ; locations incessantes d’espaces muséographiques, du Centre Pompidou au Musée d’Orsay, pour l’organisation de manifestations festives privées ; complaisance des pouvoirs publics à l’égard du douteux projet d’aménagement par le frère de l’émir du Qatar du célèbre Hôtel Lambert, œuvre parisienne de l'architecte Louis Le Vau ; démantèlement des services de l’INRAP que le gouvernement s’apprête à délocaliser à Reims, après avoir affaibli, pour la plus grande satisfaction des aménageurs et promoteurs immobiliers, ses capacités financières d’intervention en matière de fouilles archéologiques préventives ; restitution contestable par le Louvre à l’Egypte de vestiges antiques pourtant inaliénables; volonté de supprimer l’avis conforme des Architectes des Bâtiments de France pour toute opération d’aménagement immobilière dans les secteurs historiques sauvegardés ; application sans vision d’ensemble de la très malthusienne et technocratique politique de « Révision Générale des Politiques Publiques » (R.G.P.P.) à des sites aussi prestigieux que l’Opéra, Chaillot, le Conservatoire, le Musée d’Orsay ; privatisation rampante de l’Hôtel de Marine…..
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Dans l’application de cette politique de démolition de notre patrimoine culturel, aussi sournoise que méthodique, la détermination du gouvernement est sans faille, tant celui-ci se sent porté pour l’heure par l’indifférence d’une opinion publique davantage préoccupée par la dégradation du climat social et les incertitudes liées à la crise économique et financière.
En réalité, le ressort profond d’une pareille entreprise ne saurait trouver son explication nulle part ailleurs, au fond, que dans la volonté tenace de nos gouvernants, partout manifeste, de précipiter aveuglement la civilisation française vers le néant.
Les exemples abondent, tristement : la défense avortée de la langue française, aussi délaissée à l’intérieur de nos frontières qu’elle est malmenée à l’extérieur de l’hexagone, dans un monde multipolaire où, inexorablement, agonise une francophonie en perdition ; ou bien encore, l’organisation idéologique d’un enseignement scolaire dépouillé de ses matières académiques, des humanités à l’histoire, que l’on s’applique inlassablement à conditionner dans l’amnésie du génie de notre pays, avec le secret dessein d’éduquer nos futures générations selon un même format anglo-saxon, tout en privant nos élites de l’excellence apportée par nos Grandes Ecoles ; ou enfin, la réduction drastique de nos représentations culturelles à l’étranger, réglée à l’initiative suicidaire du Quai d’Orsay, sous couvert de réorganiser un réseau diplomatique pourtant en passe d’être transféré sous le contrôle de Bruxelles !
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Le sentiment d’impunité éprouvé par nos gouvernants est tel que ceux-ci s’autorisent désormais toutes les audaces !
Armé de cette intime conviction, persuadé qu’il lui est désormais possible de s’affranchir de tout, y compris des règles de fonctionnement de nos institutions séculaires, le gouvernement ne se propose-t-il pas, en catimini, de modifier le régime actuel de cession des monuments, musées ou objets mobiliers appartenant à l’Etat ?
La première alerte est intervenue, fin 2009, à l’occasion de la discussion de la Loi de Finances pour 2010, au détour d’une disposition isolée (article 116) dont l’objectif n’était rien moins que de bouleverser en profondeur celles des dispositions de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, qui règlent jusqu’à présent (article 97) les modalités de transfert du patrimoine culturel dépendant de l’Etat, au profit des collectivités territoriales qui en expriment la demande.
Avec ce dispositif calamiteux, tous les garde-fous législatifs, qui contiennent jusqu’à présent efficacement tant d’appétits économiques, sont appelés à voler en éclats :
- l’ensemble des monuments appartenant à l’Etat pourra demain être transféré, sans exception, au profit des collectivités locale puisque sera supprimée la liste impérative, établie en 2003 par une commission à l’époque présidée par René Rémond, recensant ceux des monuments, considérés aujourd’hui comme d’importance nationale, qui doivent demeurer propriétés de l’Etat ;
- les monuments appartenant aux «établissements publics» dépendant de l’Etat seront également intégrés dans le périmètre de ce dispositif alors que, jusqu’à présent, seuls les édifices dépendant du Centre des Monuments Nationaux pouvaient être transférés;
- tout objet mobilier classé ou inscrit pourra être cédé isolement, sans avoir à être obligatoirement incorporé dans le monument transféré qui l’abrite.
- le transfert de propriété des monuments et sites culturels pourra être autorisé, non plus dans leurs ensembles, mais partiellement, c'est-à-dire « par appartement » ;
- la demande de transfert exprimée par une collectivité territoriale sera recueillie par le préfet, représentant discipliné du gouvernement, qui disposera de larges prérogatives pour en assurer l’instruction, avant de la transmettre au ministère de la Culture ;
- la période de dévolution sera permanente et non plus limitée dans le temps, selon le dispositif contraignant actuel.
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Force est de constater la gravité de la menace que ce funeste projet fait planer, dans l’opacité la plus totale, sur l’intégrité du patrimoine historique appartenant à l’Etat.
Qui ne mesure, à présent, la réalité du risque en puissance que n’échappent du domaine public des monuments qu’une collectivité locale se résoudrait à céder au bénéfice d’opérateurs privés, faute pour celle-ci de pouvoir financièrement les entretenir, en les relevant simplement, au mépris de leur imprescriptible caractère inaliénable, de leur affectation à un service public ou à un usage direct du public ?
Quelles seraient alors pour les Français les garanties de disposer à l’avenir, dans cette situation nouvelle, d’un égal accès à un édifice dont les contraintes de rentabilité financière de son exploitation économique, sur un mode privé, en limiteraient assurément la vocation pleinement culturelle, au détriment du plus grand nombre ?
Aussi prestigieux soit-il, aucun site historique ne sera ainsi épargné et certainement pas ceux jugés les plus rentables économiquement, de l’ancien domaine royal de Saint-Cloud vers lequel le conseil général des Hauts-de-Seine lorgne de longue date aux fortifications médiévales de Provins que son député-maire espère récupérer, des remparts de Carcassonne convoités par la région Languedoc-Roussillon à la baie du Mont-Saint-Michel que le Syndicat mixte d’aménagement du bassin maritime rêve de pouvoir exploiter !
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De ce texte, profondément attentatoire au respect, requis de tous, d’un patrimoine culturel transmis par les générations passées, il nous faut nous y opposer, résolument, pendant qu’il en est encore temps.
L’ensemble de ce dispositif a été censuré par le Conseil Constitutionnel dans sa décision prononcée le 30 décembre 2009, mais nul n’ignore qu’il en fut ainsi, non pas malheureusement pour des raisons de fond, mais pour des motifs de pure forme.
Or le gouvernement, qui affiche sur cette question une assurance à toutes épreuves, se propose, sans doute dès février 2010, de passer en force au Parlement, en le conservant intact, un texte qui essuie pourtant, ici ou là, d’innombrables critiques !
Toutefois, les espoirs d’y faire échec demeurent permis.
Parmi les réactions et initiatives réconfortantes récemment enregistrées, qui augurent pareillement d’une possible volte-face gouvernementale, relevons celles issues d’un monde associatif interloqué qui commence peu à peu à se mobiliser et, à sa suite, nombre de parlementaires courageux qui n’abandonnent pas l’idée de peser dans les discussions à venir, au Sénat comme à l’Assemblée Nationale, dans un sens conforme aux intérêts de la Nation.
Ce mouvement doit désormais s’amplifier car nul ne peut admettre qu’un projet aussi condamnable puisse demain aboutir au Parlement, pour aussitôt entrer en application.
A leurs côtés, les Français, célèbres ou anonymes, praticiens du monde culturel ou simple amoureux du patrimoine de la France, doivent donc conjuguer leurs forces, sans réticence, ni attentisme, en bannissant tout à priori politique, car l’enjeu collectif pour notre pays est immense.
Pour juridique qu’il apparaisse de prime abord, ce combat ne s’apparente en rien à une querelle byzantine.
Avec la liquidation ainsi programmée des garanties apportées actuellement par un régime de protection du patrimoine historique appartenant à l’Etat, qui a si bien fait ses preuves depuis Mérimée, n’en va-t-il pas au fond de la sauvegarde durable de la mémoire de notre pays et donc de la préservation du génie de la France ?
Karim Ouchikh, 27 janvier 2010