Message du Cercle Hernani , lundi 16 avril 2012
Christian Vanneste
Hernani . Un article récent d' " Hernani " porte le titre "La Culture , enjeu national" , car nous pensons qu'elle est l'émanation et le le symbôle de notre identité bimillenaire . Et aussi qu'il ne peut y avoir de culture , dans quelque pays que ce soit , donc en France , sans la maîtrise de la langue , dans sa forme et dans son esprit . Savoir lire puis dire , c'est la clef de toutes les connaissances . Comment réagissez vous à ce ...disons credo ?
Christian Vanneste : Entièrement d’accord. Il faut lire « Contre la Pensée Unique » de Claude Hagège.
H. " Ce qui reste quand on a tout oublié ", c'est en fait un état d'esprit , une couleur intellectuelle , une aptitude à des liens (interligare latin ) , qui complètent et élèvent les connaissances acquises , et caractérisaient l' honnête homme " du 17° siècle . Celui de certains personnages de Molière , ou en référence à l' "agathos " athénien . Pensez vous que ce modèle existe encore , même dans une forme moderne , ou que la spécialisation des études tend à formater , non à former les esprits ?
Christian Vanneste : L’Honnête homme, c’est celui du XVIIème siècle. Il reste quelques fossiles mais avec la Princesse de Clèves et la fin de la culture générale à Sciences Po, l’extinction est proche, et c’est la part classique de notre identité qui disparaît.
H. Espérons que Sciences Po va prendre un autre virage ! Mais des deux questions précédentes , il ressort que ce qui aurait dû rester "instruction publique " n'assure plus , ou très mal , la transmisson du savoir : langue , littérature , histoire . Aussi J.P.Chevènement avait il réclamé le retour aux fondamentaux , ce qu'entreprit G.de Robien , mais que ses successeurs ne poursuivirent pas ; loin d'écarter les "méthodes innovantes " , on veut les grossir par d'autres modernités : suppression des notes , et des devoirs à la maison .
Comment expliquez vous cette obstination ? errare humanum , perseverare diabolicum .Erreur ou démagogie ? ?
Christian Vanneste : Non, entropie sociale qui veut toujours moins d’effort et moins d’ordre, avec une élite byzantine qui se complaît aux complexités inutiles.
H . Ne pensez vous pas que ce mot élite est utilisé actuellement à contre sens , et que confondre élus et élites (bien entendu nous distinguons le bon grain de l'ivraie ! )est préjudiciable aux uns comme aux autres ? Mais revenons à notre objet : Il est indéniable que l'aménagement des programmes d'histoire confirme le dessein de rendre moins visibles des moments d'histoire nationale . Effacer Clovis ou Jeanne d'Arc , voilà qui pourrait se comprendre apres le refus d'inscrire les racines chrétiennes de l'Europe dans les Constitutions . Mais passer aux oubliettes Louis XIV , donc "le Grand Siècle " , puis Napoléon et L'Empire , moments de forte puissance de la France ,n'est ce pas une forme de repentance ? Fondre dans un contexte global des pans de la construction de notre pays et de notre civilisation , cela ne découle t il pas d'une idéologie , celle que dénonce Hanna Arendt ?: effacer toute forme de pensée , but des Etats totalitaires , pour évincer toute forme d'opposition .
Christian Vanneste : Le roman national du Royaume Franc et Chrétien devenu la République doit être enseigné avec lucidité sur les défaites et fierté dans l’ensemble. La table rase et le constructivisme sont des contresens. On ne dessine pas une identité avec une gomme.
H . Par bonheur , les ouvrages relatifs à l'histoire , les biographies se vendent de plus en plus , ceci compense cela . Et voir rayonner de nouveau la France , par la présence sur notre sol et au delà , de jeunes ambassadeurs de notre culture , de notre art de vivre et de notre esprit courtois , au sens initial du terme , et lui rendre ainsi le rang que lui ont fait perdre d'autres facteurs , nous le souhaitons ardemment . Or , ont été supprimées , vous venez de le souligner , les épreuves de culture générale à l'entrée de grandes écoles (c'est ainsi priver les candidats d'un travail d'enrichissement personnel ) ; d'autre part , l'enseignement du latin et du grec , outils de développement de la logique , que Jacqueline de Romilly souhaitait rétablir , reste depuis Edgard Faure frappé de la si dénoncée discrimination . Enfin , les lycées français à l'étranger , vecteurs de la francophonie , ne reçoivent pas les moyens de développement qu'ils méritent , alors que l'Allemagne crée de nouveaux Instituts Goethe .
Les conséquences de ces décisisons ne seront elle pas irréversibles ?
Christian Vanneste : C’est très juste. La Francophonie est en grand péril. L’Anglais nous écrase et l’image de la culture germanique se redresse. L’élitisme républicain, l’enseignement exigeant et rigoureux, le soutien déterminé au rayonnement de la culture française classique doivent être restaurés.
H . Certes , mais cela n'est pas possible lorsque les collèges reçoivent un public non préparé , ou non enclin à des études de cette qualité . Il est temps de corriger la nocive erreur du "tronc commun" et d'opérer une répartition logique des élèves selon leurs goûts et leurs aptitudes , pour rendre au baccalauréat son prestige .
.Mais cet entretien ne se veut pas uniquement axé sur l'école , il porte sur notre héritage .Selon Pierre Nora , identité , mémoire et patrimoine sont les trois mots clefs de la conscience contemporaine . Depuis 2005 , de plus en plus de bâtiments historiques sont vendus ou proposés à la vente , (cf.le debat sur le site Newsring de F.Taddei , auquel nous avons contribué ) .Puis je vous demander votre sentiment personnel à propos de cette "braderie du patrimoine " , terme employé par un journaliste .
Christian Vanneste : Le patrimoine ne doit pas trop peser sur la collectivité dès lors que celleci le protège, s’assure de sa préservation et de son animation. La Dépense publique ne peut tout assurer. Il faut développer l’incitation à l’investissement privé dans l’activité culturelle, par le biais des fondations notamment.
H . Ne pas "peser " sur la collectivité" , alors que d'autres secteurs de dépense son infiniment plus lourds , le verbe est sévère , compte tenu des revenus du tourisme générés par ce bien indivis de toutes les générations . Le budget de la Culture est le parent très pauvre de tous les autres . Par ailleurs , les ventes en question ne semblent pas alléger le prix de l'entretien , mais la dette ! ...Vous sollicitez l'investissement privé : c'est ce que fait l'Allemagne , où les particuliers font des dons généreux , en véritables acteurs de protection du patrimoine ; par contre , en France ,les entreprises réservent leurs dons au sport ou la "réinsertion ". Les petites associations de sauvegarde du patrimoine local reçoivent peu , ou pas , de subventions, et seul leur bénévolat en assure le sauvetage . Pour inciter au mécénat , il faudrait revivifier le sentiment national : ce patrimoine , comment le faire apprécier , aimer ? On promet ou plutôt improvise des cours d'histoire de l'art à l'école , sans détailler le quand et le comment , au moment où on installe l'apprentissage de l'anglais dans les petites classes , et qu' on propose l'arabe en première langue .
Quels remèdes apporter à cette situation ?
Christian Vanneste : La langue du pays d’origine ne doit pas être enseignée de manière spécifique ni privilégiée. L’essentiel est la pratique du Français et d’au moins une autre langue.
H . Certes ,mais ce presque désinterêt officiel à l'égard du Français a réveillé la pratique des langues régionales,preuve que nous tenons à des racines qu'on voudrait assécher .Il ne faudrait pas pour autant oublier 1539 et l'édit de Villers Cotterêts .
Abordons un autre sujet : la musique classique , preuve éclatante de la richesse et de la diversité de notre civilisation . Mises à part certaines mises en scène de "relecture "d'opéras , (la Comédie Française , frappée par la même mode , a su se corriger ) , les mélomanes disposent d' un choix ample et de qualité . Mais en ce qui concerne l'enseignement musical , font défaut les structures qui , comme en Allemagne ou en Russie , permettent aux jeunes gens d'effectuer , sans chevauchement d'emplois du temps , à la fois études générales et musicales . C'est d'autant plus important que les jeunes musiciens sont , si je puis dire , dévoreurs de culture . Auriez vous un projet ?
Christian Vanneste : La musicalisation de la jeunesse française est plutôt une réussite, mais la complémentarité entre les Ecoles de musique et l’Education Nationale doit être meilleure . L’après-midi , culturel ou sportif pourrait y contribuer , de même que la création d’une chorale par établissement.
H .Et enfin , en retour au rayonnement : des amis d'autres pays d'Europe souhaitent des visites de la Comédie Française , et les provinciaux de la France profonde des tournées plus fréquentes , mais les subventions manquent . Est ce effet de la crise , argument commode , ou indifférence ?? En corollaire : les élus , hors parité , n'hésitent pas à se montrer dans des stades bondés , mais peu dans les loges qui leur sont réservées au théatre ou à l'Opéra . Ce serait pourtant l'exemple qui viendrait de haut , et qui détournerait , peut être , nos concitoyens , si soucieux du principe de précaution , du louche brouet de cantine de la plupart des programmes de télévision .Le " pouvoir " ne devrait il pas orienter les chaînes vers une programmation de qualité , capable d'élever le public et non de lui servir un "opium du peuple "
Christian Vanneste : Il y a malheureusement un « art officiel » qui confine souvent au snobisme, voire à un goût pour la provocation et la transgression. L’Etat doit veiller à la préservation de la Culture nationale, à son rayonnement, ainsi qu’à la création. L’activité culturelle doit reposer davantage sur l’initiative privée, sauf lorsqu’elle ne suffit pas à maintenir le rayonnement de notre pays dans un domaine : je pense au cinéma en particulier.
H .Vous faites grande confiance à l'initiative privée , et c'est justement sa presque inertie ou son goût douteux en ce domaine que nous regrettons ,Et pourtant la restauration ou la création , dans tous les domaines d' art , la transmission des savoir faire créent des emplois , ce qui avait en 2006 entraîné une rallonge au budget de la culture , après le succès , jamais démenti depuis , des journées du Patrimone .
En conclusion : vous avez compris notre angoisse à l'idée que notre pays se dilue dans un mondialisme multiforme , et par là même informe . Nous donnerez vous quelques raisons d'éspérer , si ce n'est la guérison, du moins une rémission ?
Christian Vanneste : Une révolution conservatrice doit être mise en œuvre sur le plan culturel. Elle doit reposer sur trois axes :
- D’abord, le rappel des fondamentaux de notre pays qui n’est pas né en 1789 et encore moins en 1968.
- Ensuite, le rétablissement de l’appropriation de cet héritage dès la formation initiale par les jeunes Français.
- Enfin, la restauration de la culture générale comme critère de sélection.
Hernani .
Que pouvons nous dire d'autre que "Sursum corda " ? Car c'est bien d'un enjeu national qu'il s'agit , et chefs et surtout combattants devront être nombreux...