Patrimoine - France - La proposition de loi que vient de voter le Sénat en première lecture, et qui devait à l’origine porter essentiellement sur l’encadrement de la vente et de la cession des monuments historiques appartenant à l’Etat, s’est enrichie de plusieurs mesures qui, si elles devaient être définitivement adoptées, marqueraient un progrès décisif dans la protection du patrimoine mobilier.
Elle prévoit en effet :
la possibilité de classer au titre des monuments historiques des ensembles historiques mobiliers, ce qui impliquera les effets du classement pour chacun des éléments pris séparément et l’interdiction de la division ou de la dispersion [1}
la mise en place d’une servitude de maintien in situ, « lorsque des objets mobiliers classés ou un ensemble historique mobilier classé au titre des monuments historiques sont rattachés par des liens historiques ou artistiques à un immeuble classé au titre des monuments historiques et forment avec lui un ensemble cohérent de qualité dont la conservation dans son intégrité présente un intérêt public ». Cette servitude pourrait être prononcée en même temps que le classement ou postérieurement.
Ces deux mesures, qui pourront également s’appliquer aux œuvres appartenant à des propriétaires privés avec leur consentement, sont réclamées depuis longtemps par les défenseurs du patrimoine et nous les avions nous même appelées de nos vœux dans un éditorial paru sur ce site le 16 octobre dernier ! Nous ne pouvons donc que nous réjouir de voir le Sénat les adopter alors que beaucoup pensaient encore récemment que cette cause était depuis longtemps perdue.
L’autre volet de la nouvelle loi tente de mettre des garde-fous à la vente et à la cession des monuments historiques appartenant à l’Etat. Ce projet constitue à la fois une régression par rapport à la mise en place de la CommissionRémond (voir l’article) puisque celle-ci avait strictement limité le nombre de monuments pouvant être cédés en fonction de leur importance jugée moindre, mais aussi un progrès car il concerne cette fois tous les monuments appartenant à l’Etat, et pas seulement ceux dépendant du ministère de la Culture. Jusqu’à présent, seul France Domaines, c’est-à-dire le ministère des Finances, décidait de ces ventes sans jamais prendre en compte l’intérêt patrimonial et historique des bâtiments.
On se rappelle en outre comment le parlement, avec le soutien du gouvernement, avait voté en 2009 dans la loi de finance un article qui permettait de brader, sans aucun contrôle, les monuments
historiques appartenant à l’Etat (voir la brève du 28/11/09), disposition qui avait été censurée par le Conseil constitutionnel (voir la brève du 30/12/09) pour une question de forme (il
s’agissait d’un cavalier législatif). On peut donc considérer que cette proposition de loi, due aux sénateurs Jacques Legendre et Françoise Férat, va plutôt dans le bon sens en essayant de mettre
fin au chaos actuel. Notons néanmoins que, dans les exposés des motifs, il est bien précisé que l’on ne s’interdira « rien a priori ».
Il est donc proposé de mettre en place une nouvelle commission, le « Haut conseil du patrimoine », comparable dans son objectif à la commission Rémond, qui aura pour objectif de déterminer, en permanence (et non une fois pour toute) les monuments appartenant à l’Etat pouvant être « transférés ». Cette commission possèdera des pouvoirs étendus puisqu’elle se prononcera aussi « sur l’opportunité des transferts à titre gratuit envisagés », qu’elle identifiera « les monuments ayant une vocation culturelle et qu’elle formulera « les prescriptions relatives à leur utilisation culturelle ». Remarquons enfin qu’elle se prononcera sur « les projets de déclassement du domaine public, en vue d’une revente, des monuments transférés à titre gratuit ». En d’autres termes, ces monuments cédés gratuitement aux collectivités territoriales pourront ensuite être vendus au privé mais seulement après avis conforme du Haut conseil. Le sort des monuments vendus par l’Etat à une collectivité territoriale [2] n’est en revanche pas clair puisqu’il semble alors qu’il sera possible que la dite collectivité les revende à qui elle le veut sans aucune contrainte.
Le Haut conseil du patrimoine sera également informé de tout « projet de bail emphytéotique administratif d’une durée supérieure ou égale à trente ans qui
concerne l’un de ses monuments historiques classés ou inscrits » et pourra décider de rendre un avis (dont on ne sait pas s’il est conforme ou non) lorsqu’un tiers au moins de ses membres le
demanderont. On reconnaît là une disposition directement inspirée par l’affaire de l’Hôtel de la Marine. Sont par ailleurs exclus : « les transferts partiels, d’objets ou de parties
d’immeubles, afin d’éviter le « dépeçage » des monuments historiques. » Ceci devrait donc interdire, on peut l’espérer, la vente des écuries du Palais du Rhin par le ministère de
la Culture.
On ne pourra juger définitivement de ce second aspect de la nouvelle loi qu’à la manière dont sera constitué ce Haut conseil du patrimoine. Sa composition n’est pas clairement définie [3] et un décret en Conseil d’Etat devrait la préciser. Il est très regrettable par ailleurs qu’aucun critère caractérisant les monuments majeurs qui ne devraient en aucun cas être transférés n’ait été défini.
Il faut espérer que le ministère de la Culture soutiendra sans ambiguïté cette proposition de loi qui, pour la première fois depuis longtemps, apporte de réels progrès dans la protection du
patrimoine [4], au moins pour sa partie portant sur les ensembles mobiliers et que l’Assemblée Nationale, toujours
moins concernée que le Sénat par ces questions, ne remettra pas tout en cause.
Didier Rykner, jeudi 27 janvier 2011 La TRIBUNE DE L’ART
Notes
[1]. A moins cependant d’y être autorisé par l’autorité administrative qui a prononcé le classement, ce qui, on le suppose, s’apparenterait à une procédure de déclassement de l’ensemble.
[2]. Ceci concerne les monuments qui ne seraient pas affectés à un projet culturel
[3]. Il est composé « à parité de parlementaires, notamment de membres des commissions chargées de la culture du Parlement, de représentants des administrations chargées de la gestion du domaine de l’État, des monuments historiques et des collectivités territoriales ainsi que de personnalités qualifiées choisies par le ministre chargé des monuments historiques pour leurs connaissances en histoire, en architecture et en histoire de l’art ».
[4]. En préambule de ce texte, un nouvel article est apporté au code du patrimoine qui précise notamment que « La conservation et la mise en valeur du patrimoine culturel, dans ses qualifications historique, archéologique, architecturale, urbaine et paysagère sont d’intérêt public », que « les collectivités publiques intègrent le patrimoine culturel dans leurs politiques et leurs actions d’urbanisme et d’aménagement […] afin d’en assurer la protection et la transmission aux générations futures » et que « Lorsqu’un élément de patrimoine ou une partie de territoire est reconnu en tant que patrimoine mondial de l’humanité […] l’impératif de protection de sa valeur universelle exceptionnelle ainsi que le plan de gestion du bien et de sa zone tampon qui assurent cet objectif sont pris en compte dans les documents d’urbanisme de la ou les collectivités concernées ». On ne peut qu’approuver cette partie du texte, qui relève cependant davantage de la déclaration d’intention que de mesures concrètes et applicables.