Un
ferronnier – j’aurais pu écrire ferrailleur – qui croit apporter des lettres de noblesse à ses forgeries en les domiciliant à New York, ce qui est faire injure à cette magnifique cité, a planté
quelques arcs rouillés de 22 m de haut sur la place d’armes de Versailles, en face du château.
La perle de Louis XIV, celle qu’on vient admirer du bout du monde, qu’on imita par toute l’Europe, qui eut un double à Berlin avec Sans-Souci, cette sécrétion géniale du goût français, le rêve du grand monarque, s’est vu imposer cette haie d’horreur devant ses grilles.
Et quand on parle de ferronnerie, le contraste est en effet saisissant entre les grilles et les griffes de
ferraille. Celles-ci, absence de forme, de symboles, d’harmonie, tancées par celles-là qui sont l’ouvrage, l’œuvre, la pensée ciselée, arachnéenne, le sentiment du beau forgé, qui interagit
avec le ciel, les toits et le soleil depuis quatre siècles.
Nous sommes toujours en pleine imposture. Quelle serait l’œuvre d’un artiste si artiste il y avait ? Avec Venet nous avons un compas, des arcs de cercle tracés, un report proportionnel pour atteindre les 22 mètres dont il se targue et une fonderie ou une forge pour exécuter le travail. Il s’agit donc d’un ingénieur et non d’un artiste. Sans la main du sculpteur ou du peintre, il n’y a pas d’œuvre. L’œuvre est l’idée mise en œuvre par l’artiste. Sa main est tout après sa pensée, et l’insatisfaction de l’artiste est que la main trahit toujours sa pensée, qu’elle n’est pas à la hauteur, et que toute œuvre n'est qu’un reflet du Beau et de la divinité comme nous l’explique Platon.
Ces arcs sont vides d’originalité et atteinte au Beau.
Mais pire, qu’est-ce qu’une œuvre sinon l’illustration de la pensée ou du champ imaginatif de l’artiste ? Sans cet artefact elle n’est rien. Ce que nous donne à voir le peintre ou le sculpteur est le monde intime des formes et couleurs qui l’habite, une réalité reflétée par son âme et que ses mains, humblement, ardemment, tentent de ne point trop trahir en lui donnant le jour.
Ainsi, la colonne Trajane ou la colonne Vendôme ne seraient que
fonderie si les sculpteurs ne les avaient enrichies d’une frise hélicoïdale ayant un sens, racontant une histoire – la conquête de la Dacie par le romain, la bataille d’Austerlitz pour Napoléon –
en faisant un spectacle renouvelé sans cesse et que nul ne pourra embrasser dans sa totalité.
On peut ajouter pour la colonne parisienne, le symbolisme de sa matière puisqu’elle futfondu avec le
bronze des canons d’Austerlitz offrant ainsi au toucher un morceau
d’histoire, au sens propre comme au sens artistique.
Là rien, parce que Venet n’a rien à dire.
Devant l’impudence, les bras vous tombent.
Quelle Aillagonnerie ! Voudrait-on s’exclamer ; Aillagonnesque mon cher Watson aurait osé Sherlock avant de se suicider !
Il est vrai que ce soi-disant esthète, ancien ministre de la culture, commensal des promoteurs et collectionneurs d’art dit contemporain dont il fut un salarié, a décidé d’avilir pour ennoblir. Avilir le gracieux pour ennoblir l’odieux.
Ces défenses d’éléphant ou squelette de baleine – l’ivoire en moins – sont censés offrir à la statue équestre du roi Soleil « une couronne de laurier » quand elles ne font que poser sur son œuvre une couronne d’épine
Georges Clément Clairefontaine, le 10 juin 2011