C'est Mozart qu'on assassine ,
Beaumarchais , ou les deux?
Le Festival d'art lyrique d'Aix en Provence ,en ce mois de juillet 2012 , joue t il les provocations , ou se prend il pour celui d' Avignon ?
Défiant les bouffées de mistral , le jeune chef Jeremie Rohrer et son orchestre d'instruments d'époque , Le Cercle de l 'Harmonie , servent admirablement la magnifique musique de Wolfgang Amadeus , dans la Cour de l'Evêché , avec des chanteurs au métier confirmé , aux voix amples , justes et fermes , dont certaines particulièrement séduisantes , Kyle Ketelsen (Figaro ) , Patricia Petibon (Suzanne ) , qui sont aussi de vrais comédiens , et les Choeurs des Arts Florissants .Emouvants aussi , le couple Comte Almaviva - Comtesse , Rosine si désirée , puis délaissée (P.Szot, Malin Byström )
Car ici Beaumarchais est bien proche de Marivaux ,en chassés croisés amoureux et quiproquos , et Da Ponte , librettiste de Mozart , l'avait compris . Le sous titre de l'oeuvre ," la Folle journée ", en donne le rythme émotionnel : joie , enthousiasme , égarements , tentations , jalousie , douleur , intrigues s'enchainent , se précèdent ou se suivent , que le génie du" divin "Mozart dessine en de bouleversantes mélodies (monologue de la Comtesse ) ou brillantes harmonies . C'est l'esprit de l'oeuvre quele musicien définit dans une lettre à sa soeur en août 1784 :"Le mariage apporte certes des plaisirs tres grands , mais bien des soucis également " . Cet opéra buffa fut créé à Vienne au Burgtheater le 1er mai 1786.
Beaumarchais ? Nous savons tous quel fut son rôle en cette fin du XVIII° siècle , que l'insistance du comte d'Artois obtint de Louis XVI en 1884 la représentation de la pièce écrite en 1881 , et nous n'avons nul besoin de Richard Brunel metteur en scène , pour nous l'expliquer ( croit il ?) en plaçant ce mariage dans un cabinet d'avocats XXI° siècle , pièces nues que viennent de quitter les plâtriers peintres,où Almaviva , patron ( selon les modifications du texte,) convoîte la fiancée de Figaro , employée et non plus camériste ( mot charmant qui résume la complicité Comtesse-Suzanne ) , dans une action où le droit de cuissage est désigné harcèlement sexuel ; d'ailleurs , nous confie ce "relecteur "" , les personnages sont tous "porteurs de justice " , ce que tentent de démontrer la scène d'hommage des paysannes à la Comtesse , reconvertie en manifestation de sympathiques lejabystes , l'accoutrement du Comte en élu municipal ceint de l' écharpe tricolore , et pire , en chasseur macho , le fusil pointé sur l'épouse soupconnée .....accompagné d'un ravissant chien de chasse- il faut bien montrer qu'on a parfois des idées ! - dont la gentillesse contredit une brutalité que Paolo Szot n'exprime pas , restant dans le registre de l'orgueil blessé ....
Le délicieux Cherubin , attendrissant chez Beaumarchais et Mozart , se travestit ici en jeune énarque en caleçon, chaussettes et lunettes , qui ne lira jamais 'l'Education sentimentale", et il faut tout le talent de Kate Lindsay pour échapper au plus mortel des ridicules .
D'arides décors et de plats costumes achèvent cet ennuyeux exercice de démonstration politique , que de brèves tirades de l'astucieux horloger-espion du royaume avaient projetées bien au delà de la rampe en quelques scènes .
On l'a compris : la "fracture sociale "est de mise . Un des spectacles suivants , d'un certain Bruyère , en sera le joyau ,avec pour vedettes de "jeunes défavorisés " de cette riche ville historique .
Si chef , instrumentistes et chanteurs n'avaient pas le talent dont ils sont doués , et n'exaltaient pas l'art du merveilleux compositeur autrichien , si n'étaient en scène que quelques bonimenteurs d'un texte déformé , loin de l'esprit français de l'époque , copiant grotesquement des marionnettes de discothèque en scène finale , le public applaudirait il aussi chaleureusement ? Non certes , l'hommage allait à Mozart et Beaumarchais , et les houhous lancés à l'homme en écharpe mauve n'en furent que plus audibles .
Nos temps sont difficiles ?..... non , ils sont tristes .
fbr, 15 juillet 2012