Verdi , un compositeur qui aimait la France.*
Si la Comédie Française n'a pas encore redonné cette saison passée les valeurs que nous attendions , non par le choix des auteurs , mais par leur interprétation (par exemple un "Fil à la patte" hurlé, qui pouvait faire penser aux spectateurs venus d'autres pays que le cocasse de Feydau n'est qu'une manifestaton d'hystérie ) ,le théatre d' Orange nous a bien consolés par une mise en scène somptueuse de l'Aïda de Verdi , grâce à laquelle nous avons gommé , avec quelque réticence il est vrai , le déplacement incongru de cette tragédie du temps des Pharaons dans l'Egypte du Khédive .Il est vrai que celui ci , Ismail Pacha, fut le commanditaire de cet opéra , récit d'une guerre entre Ethiopiens et Egyptiens , pour la consécration de l'Opéra du Caire .La création , le 24 décembre 1871 , fut un triomphe .
Mais en France on ne peut s'empêcher de transposer en mode mahométan toute oeuvre qui n'y fait pas référence , même au prix de contorsions historiques ; voilà pourquoi un spectateur demandait , à la vue de curieux drapeaux rouges marqués de croissants étoilés blancs , si c'était celui de la CGT .....
Par bonheur la mise en scène , les superbes costumes , les projectons irisées sur les antiques pierres , les jeux de lumière et de couleurs exaltés par le grandiose décor du Théatre antique , des tableaux inspirés de Delacroix , la brise nocturne ont enveloppé la première représentation d'une magie souvent perdue depuis que les innovations de P.Chéreau à Bayreuth ont fait école .
Un opéra est un spectacle complet : comédie , drame ou tragédie , musique , danse s'y rejoignent en un assemblage complexe , piège pour un metteur en scène peu doué . Rendons à Charles Roubaud un hommage : depuis longtemps n'a été offerte au public (en l'occurence un "grand" public , huit mille personnes )une semblable fusion de ces genres ; hommage aussi au chorégraphe , et particulièrement au chef intelligent et subtilement musicien , Tugan Sokhiev, qui a preservé l'oeuvre de Verdi de la grandiloquence que lui donnent certains . Dans la retransmisson de France 2 du 12 juillet ,un reportage présente ce chef jeune , passionné , érudit , dans Saint Petersbourg où il a fait ses études : un régal .
Gloire au public toulousain d'avoir mérité cette chance ....
Les habitués de ce blog vont nous trouver bien indulgents ; pas totalement , hélas !
Car si l'orchestre de Toulouse , dans ce vaste espace , fait résonner des timbres magnifiques, les solistes n'ont pas atteint la qualité espérée , au point que certains sont surpassés par les choeurs pourtant composites , mais d'une cohésion et d'une ampleur parfaites .
L'américaine Indra Thomas apporte au rôle titre son beau physique , mais sa voix n'a trouvé la force des émotions qu'au dernier acte ,(il est vrai que le mur d'Auguste n'est pas une salle d'opéra ) et c'est Ekaterina Goubanova , Amnéris , voix chaude et grave aux inflexons maitrisées , que le public a acclamée . Des hommes , mieux vaut ne pas citer leurs noms : palette de nuances absente , notes longues mal tenues , parfois fautes de respiration ; à l'exception de Andrezj Dobber , Amonasro , dont la large tessiture artistement utilisée correspond à l'autorité du personnage .
En vérité , gloire aux slaves et à leur sensibilité musicale .
Mais , direz vous , il s'agit de l'oeuvre d'un Italien , donnée en France ,avec des artistes de tous pays ? Et Hernani défend la culture française ?;...
Oui , mais le metteur en scène est français , l'orchestre aussi , les choeurs aussi ; Orange est gallo-romaine , et ses chorégies nous changent des élucubrations d'Avignon. Et il s'agit de notre culture et de notre tradition occidentales .
Et puis Verdi possédait une vertu devenue rare : il aimait son pays . Partisan déterminé de son indépendance ,il combattit pour elle , et en fut récompensé par son élection à vie au Sénat en 1874 .Ecoutez pour le comprendre le magnifique choeur des exilés de l'Opera "Nabucco".
Quand le public scandait en applaudissant : Viva Verdi ! ces mots avaient un sens particulier , souvenir ou devinette pour nos lecteurs ?
Ce cri a retenti recemment lors d'une représentation à Milan .
Que ne savons nous le faire en France !
Françoise Buy Rebaud , 17 juillet 2011
* Extraits d'une lettre de Guseppe Verdi du 30 septembre 1870
" Le désastre que subit la France me met , comme à vous , la désolation au coeur .....C'est la France qui a donné au monde moderne ....la civilisation .
Jadis Attila s'était arrêté devant la capitale du monde antique ...miantenant que Bismarck fait savoir que Paris sera épargnée , je crains plus que jamais qu'elle ne soit , au moins en partie , ruinée .....Et puis j'aurais aimé que l'on pût payer une dette de reconnaissance : cent mille soldats italiens pouvaient peut être sauver la France ."
Lettre à Clara Maffei , citée par Pierre Petit " Verdi " 1958"