Abus de discrétion
Ne laissons pas cette année venir à son terme sans rappeler qu'elle fut celle d'un anniversaire : celui de la naissance du pianiste et compositeur Franz Liszt .
Ce bicentenaire est passé presque inaperçu , sauf dans les milieux musicaux et chez les mélomanes avertis .
Et pourtant !
Liszt fut l'un des plus fascinants représentants de notre culture et civilisation occidentales : dans les pays où il vécut , et dans ceux dont il fut l'hôte momentané , il eut l'intuition de leur identité et , comme l'avait écrit Chateaubriand , du génie du christianisme .
Né en novembre 1811 à Raiding en Hongrie , où son enfance s'imprégne de christianisme et de sonorités tziganes , protégé des Esterhazy pour ses dons prodigieux , il vit à Vienne de 1821 à 1823, puis à Paris jusqu'en 1834 , où sa prestance et son génie lui ouvrent toutes les portes . Un épisode en Suisse , des séjours en Italie , un retour en France pour une halte à Nohant ( avec Chopin chez George Sand ) précèdent un autre en Hongrie de 1838 à 1840 , entrecoupé de tournées en Allemagne , Autriche , Italie , de séjours à Londres et toute l'Angleterre , Ecosse , Irlande ; Prague , Leipzig , Berlin , Saint Petersbourg ,Bruxelles , encore Paris, en Espagne ; puis à Bonn , en Russie , en Turquie de 1845 à 1847.
Etourdissant ? Sans doute , et il maîtrisait plusieurs langues , dont le Français (cf sa biographie de son ami Frédéric Chopin ).
Il trouve cependant un port d'attache à Weimar , apres une tournée à Kiev , Odessa , encore Saint Petersbourg et Vienne , au moment où s'y propage en 1848 l'insurrection de Paris , qui s'étend en Allemagne et en Hongrie (exil à vie de Kossuth ).Liszt reste à Weimar , rendue célèbre par Goethe qui y fut conseiller aulique, de 1849 à 1861 comme maître de chapelle ; la ville devient alors un centre musical et culturel de premier ordre .
Mais Franz Liszt , prince novateur de la musique , est depuis son jeune âge habité de ferveur religeuse : il se se dit mi-franciscain , mi-tzigane .
Après une vie plus que tumultueuse ,c'est à Rome qu'il dépose son bagage , au monastère Madonna del Rosario, et c'est dans la Ville Eternelle qu'il reçoit les ordres mineurs . Son activité de compositeur s'en trouve magnifiée , en même temps qu' il continue ses activités à Weimar , d'autres à Budapest , en voyages entre ces villes , mais aussi Paris , Venise , Londres , Anvers et Bayreuth , où vit sa fille Cosima , épouse de Wagner , et où la mort arrête l'éternel errant en 1886 . Il repose au cimetière de Bayreuth .
Franz Liszt était beau et virtuose , mais cela seulement ne peut expliquer le prestige dont il était auréolé ; son génie novateur , non plus ; ce qui est désigné de nos jours par charisme , peut être .C'est en fait une fascination qu'il exercait , sur ses auditeurs , sur les princes , souverains et autres "puissants du monde "dont il était l'invité , sur ses amis et les autres musiciens . Le pape lui même venait s'asseoir pres de lui pour l'écouter à l'harmonium .Ses pensées , ses sentiments et ses passions éveillaient et ennoblissaient les leurs , et le font encore .Célèbre par ses improvisations , il en donnait , dans les pays visités ,sur les hymnes nationaux ou des thèmes folkloriques qui soulevaient l'enthousiasme , et si ses rhapsodies hongroises transportent toujours les auditeurs , ses oeuvres de méditation ou d'inspiration religieuse bouleversent jusqu'au fond de l'âme .
Célèbre , adulé et riche , il fut d'une générosité sans limites , et la fin de sa vie d'un dénuement et d'une austérité de moine .
Chantre de la patrie, il nous donne avec ses Préludes pour orchestre , sur un poème de Lamartine (oui , je reviens vers toi , berceau de mon enfance; la meilleure version est de Léopold Stokowski ),
chrétien , la même poignante émotion que son "sursum corda " pour piano , la douceur avec "les jeux d'eau de la Villa d'Este " , et la sérénité dans les "Consolations " ; les pianistes Lazar Berman et Jorg Bolet restent ses interprètes les mieux inspirés .
Puissent ces quelques lignes donner à nos lecteurs l'envie de mieux connaitre ce merveilleux compositeur , dont Henri de Pourtalès a dit:
"Liszt a ceci d'exemplaire , qu'ayant connu fort jeune les plus rares triomphes d'artiste et les plus dangereuses joies d'homme , il s'est lentement élevé ,
de sa seule volonté et malgré cette gloire enlisante , jusqu'aux solitudes de l'esprit . Il poursuivait ce qu'on appelait en son temps un idéal , bien différent de ces succès recherchés aujourd'hui à coups de coude , si ce n'est de pieds .
Son idéal état une manière d'être, une manière de servir , l'art pour lui un sacerdoce , et rien n'allait au dessus de sa foi "
FBR , novembre 2011