
A l'origine , c'était cela : des architectes de génie , leur sens de l'harmonie des lignes, de la beauté des formes ; des tailleurs de pierre inspirés .....

les siécles ont passé ......mais comment ce peuple héllène a t il pu négliger les splendeurs qu'il avait érigées ?
Qui ne connait la Grèce ??
Ses guerres contre Sparte et les Perses , le siécle de Pericles, la construction du Parthénon , la mort de Socrate , le tremblement de terre qui détruit Rhodes, Alexandre le Grand, la résistance face aux Romains , l'arrivée de César en Macédoine,Archimède , Homére , l'Iliade et l'Odyssée .....La farouche Antigone de Jean Anouilh nous les rappellerait vite.......



Et pourtant , à ne se souvenir que de la majesté des lieux ,de la beauté des statues , de la richesse de son Histoire ,en ce pays malmené , ne faut il pas relire ,d'abord , ce poème de Victor Hugo ,qu'il a lui même préfacé : Oh horror , horror ,horror! du Macbeth de Shakespeare
Les Turcs ont passé là: tout est ruine et deuil .
Chio , l'île des vins , n'est plus qu'un sombre écueil Chio qui dans les flots reflétait ses grand bois , Chio qu'ombrageaient les charmilles Ses coteaux , ses palais , et le soir quelquefois Un choeur dansant de jeunes filles , Tout est désert: mais non ! seul pres des murs noircis Un enfant aux yeux bleus , un enfant grec , assis Courbait sa tête humiliée. Il avait pour asile , il avait pour appui Une blanche aubépine, une fleur, comme lui Dans le grand ravage oubliée .Ah pauvre enfant , pieds nus sur les rocs anguleux,Hélas , pour essuyer les pleurs de tes yeux bleus
. Que veux tu ? bel enfant , que te faut il donner....Qui pourrait dissiper tes chagrins nébuleux ......Veux tu, pour me sourire ? un bel oiseau des boisQui chante avec un chant plus doux que le hautbois ?Pus éclatant que les cymbales ?
" Ami , dit l'enfant grec , dit l'enfant aux yeux bleus
Je veux de la poudre et des balles "
1829 ""Les orientales


Mais avant Hugo 1802-1885 ,Eugène Delacroix 1798-186 s'était ému des récits de pillages , de meurtres , de déportations, et avait réuni des esquisses pour le "Massacre" de Schio , exposé en 1824, qu'on peut admirer au musée du Louvre .
Et aussi Alexandre Dumas , en dénonçant dans "Le comte de Monte Cristo" l'épisode tragique du pacha de Janina , qui voulait se libérer du joug turc, qui fut décapité, dont la tête fut enduite de sel et envoyée à Istamboul , la population déportée

Massacre de la population de l'ile de Chio par les Ottomans avriL 1822
Blessés à l'agonie , prisonniers, vieillards et enfants, ils vont être déportés vers la Turquie, un navire les attend sur une mer orageuse et sous un ciel crépusculaire ,à l'arrière plan .
A droite un jeune enfant tente de réveiller sa mère déja morte, comme bientôt le sera le couple roué de coups et dépouillé de ses vêtements pou une plus grande humiliation
Le spahi qui commande l'opération traine le corps d'une femme attachée à son cheval qu'une autre essaye de retenir.Il faut regarder attentivement cet homme brutal , non pas insensible , mais meurtrier déterminé et froid, bouche serrée et regard de métal
Au centre, à contre jour ,la forme d'un guerrier enturbanné , muni d'un cimeterre,,assombrit encore cette scène éprouvante , marquée par la présence de la vieille femme, restée digne dans son désespoir ,seul membre ,désormais muet , du choeur antique de la tragédie
La "patte "de Delacroix atteint ici une densité émotionnelle que le public du Salon reçut comme un choc en 1824 . Notre grand romantique venait d'atteindre sa vingt cinquième année .
Cette guerre dura de 1820 à 1830 , mais elle reprit apres la première guerre mondiale
Les souverains d'Europe , plus exactement l 'Occident , et ce terme est intentionnel ,ne respectèrent , vous le verrez, ni les traités ni l'Histoire écrite dans le sang
Mais leurs sujets européens , eux , prirent le parti de la Grèce
Le poète George Gordon, sixieme baron Byron né à Londres en 1788 , passionné d'histoire et de littérature grecques antiques , vendit ses biens pour financer la guerre d'indépendance menée par les Grecs contre les Ottomans qui occupaient le pays depuis la prise d'Athènes en 1458 , cinq ans apres la chute de Byzance

Arrivée de lord Byron en Grèce, ci dessous en costume traditionnel

La Gréce fut alors découpée en sandjaks gouvernés par de sandjakbeys dépendant de pachas aux ordres du sultan ; la présence des timariotes , collecteurs d'impôts , des spahis , cavaliers aux quels le sultan distribuait en récompense les terres qu'ils arrachaient aux Grecs , la prise comme otages d'enfants emmenés en Turquie pour soumettre les populations à l'occupant provoquèrent la fuite massive des habitants des lieux vers les pays voisins , et un appauvrissement intellectuel irréparable, surtout apres la disparition d'érudits comme le cardinal Bessarian (voir article Sublime porte de ce blog )
Le "millet " ,statut qui prétendait autoriser la pratique des coutumes et de la religion locales , aboutissait surtout au repli des paysans dans des endroits isolés , comme le dit encore un chant folklorique : ils préféraient" "vivre avec des fauves que pres des Turcs comme les dhimmis des plaines,"" et se construisaient des villages dans des gorges ou sur des hauteurs presque inaccessibles où survécurent la langue, les traditions et la religion .Constitués en bandes de mi guerriers mi brigands ,(klephtes )ils fournirent plus tard l'essentiel des combattants de l'indépendance,que rassemblèrent des chefs secrètement préparés, avec l'aide de la Papauté , de l'Espagne ,, de Venise et de la Russie
Dans les villes subsistait une population de 'dhimmis", sous - citoyens privés des principales libertés et spoliés de leurs biens ,dont les soulèvements fréquents étaient toujours brutalement écrasés sur ordre des pachas .
C'est celui de 1820 que voulut aider Byron , qui mourut à Missolonghi en 1824 pendant le siège . La rébellion du pacha de Janina, à qui Monte Cristo de Dumas doit sa célébrité, contre le sultan tortionnaire Mahmoud II , en fut l'origine .
En France , Chateaubriand, chantre de la chrétienté , Lamartine et Théophile Gautier joignaient leurs voix à celle de Byron ,les voyageurs ou des fugitifs dénonçaient les atrocités et Hugo composait son célèbre "Enfant grec "

Enterrement de Byron à Missolonghi, détail

Mais les Grecs n'étaient pas seuls à combattre l'occupant
En Serbie, où le souvenir du Champ des merles restait vivace, 1804 , 1815 et 1830 furent marquée du sceau du patriotisme ,en des soulèvements toujours écrasés sans merci, dont les autres pays d'Europe recevaient les récits et les images .La Macédoine et le Montenegro s'y risquèrent aussi, mais l'aide des pays du Sud ou du Centre de l'Europe leur manquait,car les conquêtes de Napoléon les avaient lourdement éprouvés .Ainsi la Bosnie Herzegovine, soulevée en 1830 et 1832 , dut elle attendre 1875 , comme la Roumanie,réveillée en 1821 , attendit 1848 pour s'insurger avec l'aide de la Russie.
Néanmoins le mouvement de compassion né en France et le sacrifice de Byron , tels les projecteurs sur une scène , firent enfin souffler le vent d'indignation qui porta la sympathie occidentale vers le Congres d'Epidaure, au cours duquel ,en janvier 1822 ,la Grece déclara son indépendance et se dota d'une constitution.
La réaction des Turcs fut violente ;en se maintenant sur le territoire , ils se livrèrent à des massacres et des exactions qui indignèrent l'Europe, et qui perdurérent jusqu'en 1827, les Ottomans ayant reçu de l'Egypte un soutien militaire et maritime important en matériel et en troupes
Les trois grandes puissances du moment , pourtant rivales dans cette région , Angleterre , France et Russie , demandèrent un armistice sous le contrôle du sultan et l'autonomie de la Grèce
Son refus les décida à intervenir contre l'Egypte où ils détruisirent l'escadre égyptienne à Navarin octobre 1827. Une guerre s'ensuivit entre la Turquie et la Russie, , à laquelle le traité d'Andrinople mit fin en 1829, qui rendait à la Grèce la plupart de ses territoires: mais le protocole de Londres de 1830 ,s'il accordait à ce pauvre pays sa totale autonomie , le réduisit de nouveau, sous la pression de l'Angleterre jalouse de l'influence russe
Une monarchie étrangère fut imposée à la Grèce en la personne de Otton de Bavière , qui prit le nom d'Otton 1er ,le sultan reconnaissant l'indépendance grecque
Ce recul aura des conséquences apres la Grande Guerre, lorsque le problême se posera d'une autre façon , et avec de pires conséquences, et ce sera l'objet d'un autre article au moment du rappel de la victoire en 2018

Toile d'Auguste Vinchon 1789 - 1855
Ce paysan ,trop âgé pur participer comme son fils aux combats de la plaine , s'est effondré de douleur apres la mort de sa fille dont il garde l'enfant sur ses genoux et qui allaitait son petit quand les bourreaux sont arrivés ! En un ultime geste de protection sa main tient le bras de la jeune femme...
Sa maison a été incendiée , le voisin venu à son secours , car il tient encore un poignard de défense , s'est écroulé au passage de l'ennemi......tout est fumées et décombres
Cette image est le douloureux symbole de la famille martyre, de l'enfant orphelin et du foyer protecteur détruit .
Mais le peintre Ary Scheffer 1795-1858 né aux Pays Bas, nous donne la plus atroce des scènes du massacre organisé .
Nous savons que les femmes de Sparte préféraient la mort d'un enfant malingre à sa vie sans défense dans un monde impitoyable

Celles ci, les femmes d'une confédération albanaise chrétienne , les souliotes ,informées de la défaite de leurs freres et de leurs époux devant le sultan Mahmoud II, épouvantées par la certitude des viols et des meurtres qui les attendent,vont se précipiter avec leurs enfants dans le ravin où s'abîme un torrent.
On ne se lasse pas d'admirer la beauté de leurs visages et de leurs corps , celle de ses jeunes enfants agrippés à leurs mères, mais la vue du corps torturé de douleur de celle dont le petit a déja perdu la vie ,et qui en le serrant contre elle à même le sol lui donne encore tout son amour, est bouleversante .
Bouleversante aussi cette si jeune femme tendant de blanches mains suppliantes vers un ciel obscur, sous le regard d'enfants blonds et résignés, alors qu'une Cassandre droite et dure en un geste qui défie le destin ,désigne vers l'horizon glacé le coupable , le bourreau de la Grèce , que d'autres combattants sauront réduire et chasser .
On imagine combien ces oeuvres magistrales et passionnées , toutes trois restaurées et toujours cachées , pourquoi ? dans les réserves du Louvre , ont pu soulever les esprits, et quelle faute pèse sur les diplomates louvoyeurs qui ne surent ou ne voulurent pas donner à la Grèce la victoire de son supplice .
fbr vendredi 9 mars 2018